“Normalement c’est nous qui jugent. Cette fois les citoyens ont nous juger.”
C’est avec ces mots que le secrétaire général du ministère de la justice du Mali a clôturé une rencontre intensive de deux jours portant sur le projet de rapport de synthèse de l’enquête réalisée par Hill sur les besoins et la satisfaction des Maliens en matière de justice. Presque tous les hauts responsables de la justice du Mali étaient présents : les présidents des juridictions, les directions du ministère, les procureurs, le Médiateur de la République, les leaders de la société civile et le barreau. Le rapport final sera disponible d’ici la fin du mois de septembre.
Un spectacle rare : tant de hauts cadres de la justice à l’écoute de leurs populations et essayant de faire de leur mieux pour traduire les voix de ces populations en stratégies. «La justice ne peut pas être une abstraction », a déclaré Monsieur Mohamed Aly Bathily, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et garde des sceaux quand il a ouvert la réunion, ensemble avec le ministre de la Réconciliation M. Zahabi Ould Sidi Mohamed et le président de la Cour suprême Monsieur Nouhoum Tapily. Ce n’était pas un rassemblement «pour faire acte de présence». Les délibérations étaient intéressantes et souvent chaudes : sur la méthode, sur le fond, sur ce que signifiaient les données, et sur ce qu’il fallait faire avec elles. J’ai essayé d’imaginer un tel rassemblement dans mon propre pays, les Pays-Bas, mais je n’y arrivais pas. Le Mali est non seulement le premier pays d’Afrique à avoir fait une telle étude approfondie de la perception de la justice par ses citoyens, mais aussi, il est probablement le premier pays dans le monde dont les hauts responsables de la justice se sont préoccupés tant de ces perceptions.
L’étude a porté sur 8 400 enquêtés, soit environ 1 000 dans chaque région. Toutes les régions ont été couvertes à l’exception de Kidal, où l’État n’avait encore pas d’autorité effective. Les interviews ont été réalisées par des Maliens : une équipe de jeunes hommes et femmes, courageux et très motivés, qui ont été recrutés et encadrés par nos organisations partenaires au Mali : Deme So et Wildaf. La formation des enquêteurs a été assurée par HIIL. Les enquêtés étaient des hommes (57%) et des femmes (43%) de différents groupes d’âge (plus de 18 ans), venant de différentes localités (villes et villages), et ayant différents niveaux d’instruction. Les questions ont porté sur trois principaux domaines : tout d’abord, l’attitude des populations à l’égard de la réconciliation et de la justice transitionnelle. Deuxièmement, combien et quels sont les types de problèmes de justice auxquels ont fait face les populations ces 4 dernières années. Enfin, les voies que les populations empruntent pour faire face à ces besoins en matière de justice. Dans un blog précédent, Martin Gramatikov a présenté une innovation que nous avons introduite : la collecte des données par le biais des tablettes avec GPS, ce qui permet de lier nos données de la justice à une zone bien particulière.
En 2012, a éclaté dans le Nord du Mali une rébellion menée par des extrémistes islamistes. Cette rébellion a été émaillée de violations graves des droits de l’homme et a provoqué un coup d’État à la suite duquel des civils et des militaires ont été tués. Concernant la réconciliation et la justice transitionnelle autour de ces événements, l’enquête nous dit clairement que la première priorité pour les populations du Mali est de connaître la vérité. En deuxième lieu suit, de très près, le fait que les responsables des atrocités rendent des comptes. Il existe un avis favorable, bien que limité, pour le pardon. Mais cela diffère selon les régions. Les femmes sont légèrement plus favorables au pardon que les hommes. Les personnes âgées sont également plus sensibles au pardon. Une volonté claire pour l’indemnisation des victimes est exprimée. Celle-ci pourrait prendre différentes formes : la compensation directe, la compensation à travers l’aide, l’accès à la scolarisation par les enfants des victimes, etc. Les données montrent également des spécificités régionales qui devraient être prises en compte : par exemple concernant une éventuelle amnistie et la signature d’accords avec les rebelles.
Les populations maliennes sont confrontées à un ou deux problèmes de justice graves tous les deux ans. Parmi les problèmes les plus fréquents on peut citer les litiges fonciers, la criminalité et l’emploi. Les problèmes individuels les plus fréquents sont le vol, l’utilisation des terres, l’accès à l’éducation pour les enfants, les conflits par rapport à l’irrigation, les désaccords sur les droits de passage, l’accès à la propriété et l’accaparement des terres. Les femmes ont plus de problèmes de justice liés à la famille, à la criminalité et à l’argent, tandis que les hommes ont plus de problèmes liés à la terre, au logement, à l’emploi et aux services publics.
La famille et la communauté immédiate sont les plus importantes sources d’information sur les problèmes de justice auxquels sont confrontées les populations. La police et les maires sont d’importants pourvoyeurs de justice. Les avocats et les parajuristes sont rarement disponibles pour donner des informations juridiques et des conseils. Un grand nombre de personnes (17%) ne prennent pas beaucoup d’action pour résoudre leurs problèmes de justice parce qu’elles estiment que la partie adverse est trop puissante.
Par rapport à la résolution des problèmes, les populations maliennes indiquent qu’elles préfèrent généralement éviter le système judiciaire formel. A moins qu’elles n’aient tout simplement peu d’accès aux juges, aux procureurs et aux avocats. Comme le disait l’ancien ministre Monsieur Mamadou Diakité, qui était modérateur de la rencontre, aller vers système formel de justice est généralement considéré comme un ‘échec’. Ce facteur peut être pris comme un atout, nous en sommes tous d’accord : il existe évidemment une formidable capacité à traiter les questions de justice au sein des familles et des communautés. Cette capacité peut être renforcée et développée, par exemple à travers des stratégies d’information juridique légères. Les processus de résolution par les chefs de village, les communicateurs traditionnels, les maires ou les juges ne reçoivent généralement pas une bonne appréciation par rapport à la ‘voix et la neutralité’, ‘le stress et l’émotion’ ainsi que la ‘réparation des dommages’. Cela indique des domaines concrets de stratégies d’amélioration.
Il y a beaucoup de défis et de besoins pour plus de justice. Mais le constat le plus important que nous avons fait lors de cette rencontre est que les hauts responsables de la justice malienne écoutent la population. Le Mali vient de faire un pas de géant.